UNE JEUNESSE ASSOIFFEE DE CHANGEMENT AU CHEMIN DU RENOUVEAU

Belle réflexion de Papa Ousmane FAYE

Papa Ousmane FAYE

Qui est Papa Ousmane FAYE?

Jeune activiste panafricain engagé au Maroc, il est le Président de l'ONG African Citizens Association et a reçu la nomination d'Ambassadeur JADE 2019. Membre actif de la CESAM depuis 2014, il est le conseiller du bureau exécutif de la CESAM Settat et fut Secrétaire Général de l'UGESM Settat en 2015. Economiste de formation, il est titulaire d'un master en Géopolitique et Relations Internationales à l'Université Cadi AYYAD de Marrakech et actuellement doctorant en Sciences Politiques. Il est aussi enseignant à l'Université Privée de Marrakech.


Face à la frustration du peuple, toutes les institutions de la République du Sénégal ont tremblé dans la première moitié du mois de mars 2021. Le capitaine du bateau fut étouffé de bouffées de chaleur car c’est sûr qu’aucun homme ne peut résister face à une marée humaine, d’hommes et femmes, déterminée, dévouée, courageuse et patriote. C’est la patrie qui compte avant tout. Et cette jeunesse qui en a marre d’un système obsolète et pervertit, réclame la refonte de celui-ci. C’est ça la volonté du peuple et qu’il demande depuis des années une réforme de l’Etat. Aujourd’hui c’est ce qui se passe un peu partout en Afrique en l’occurrence au Sénégal. Aujourd’hui, l’Afrique fait face à une jeunesse assoiffée de changement qui ne veut plus se laisser ignorer. Cette jeunesse veut un changement de l’écosystème politique, qu’elle considère étant d’une grande importance car elle pense que c’est l’une des voies par laquelle nos Etats peuvent se développer. Donc en écoutant la jeunesse, une mise à jour du système politique africain est nécessaire pour ainsi emboiter un grand pas vers le développement dont elle impatiente qu’il se produise. Si les jeunes veulent une mutation profonde de l’état actuel du champ politique c’est qu’ils estiment qu’il est temps de procéder à une mise à jour de celui-ci. Si tel est le cas, le système politique actuel n’est-il pas à l’heure obsolète ? Quelle lecture peut-on faire de l’évolution des sociétés ? Comment la jeunesse peut-elle être considérée comme un acteur clé dans ce processus d’évolution et la modernisation des sociétés ? Que faut-il pour asseoir une meilleure adéquation des politiques face aux conflits générationnels ? De prime à bord, ces questions nous semblent être capitales dans la construction d’une nouvelle pensée sur les sociétés africaines et particulièrement dans le champ politique. En analysant un bon nombre de révolutions qui ont eu lieu au cours de l’histoire, la jeunesse est toujours au premier rang. Justement parce que celle-ci pense qu’elle n’est point écoutée et dès qu’elle a l’opportunité de s’exprimer, elle se met à l’action. Aujourd’hui, c’est la jeunesse sénégalaise qui demande l’attention et donc qui s’exprime après une dizaine d’année passée sans aucune contestation et protestation de cette envergure. Mais si cette situation éclate c’est parce qu’il y a un déclic. Et c’est ce qui nous mène à chercher à savoir quel est ce déclic ?

Le déclic sénégalais

La nation sénégalaise est une nation pacifique, endurante et résiliente. En 2000 le Sénégal a écrit sa première alternance démocratique l’une des premières en Afrique après quarante années de règne du Parti socialiste. La jeunesse l’avait demandé. Elle n’en pouvait plus et est allée aux urnes pour enclencher le changement de régime en choisissant Abdoulaye Wade comme président. Douze années après le contrôle du pouvoir par le Parti Démocratique Sénégalais (PDS), le peuple exprima en 2012 son ras le bol face à des dirigeants qu’il a considérés comme non légitimes et qui voulaient changer les règles du jeu politique sans leur consentement. Il sentit en ce moment une menace envers la démocratie. Ce dernier se leva encore pour dire non et s’en va aux élections pour mettre fin à un cycle politique, le cycle PDS. En ce mois de mars 2021, dans un contexte de crise sanitaire où la jeunesse se sentit étouffée par des restrictions qu’elle juge contraignantes à leur liberté, cette jeunesse bouillonnante débordante d’énergie, une jeunesse de surcroît inactive faisant face au chômage et l’incertitude de son avenir confié aux politiques, a beau être patiente et endurante, un moment viendra où elle décidera de son avenir et voudra dans l’immédiat le changement. Ce changement prend toujours la même forme : un nouveau capitaine à bord pour mener le bateau à bon port. Ce moment est venu, il est là.

La jeunesse sénégalaise semble avoir identifié son potentiel nouveau capitaine, Ousmane Sonko. Comme tout leader charismatique de son époque choisi par la jeunesse, il est adulé, aimé et soutenu. Voici le lien qui existe entre Sonko et une grande majorité de la jeunesse. Une telle jeunesse ne peut supporter aucune manipulation visant à réduire au néant son leader suite à une série d’éliminations observée depuis 2012 c’est-à-dire dès l’avènement du président Macky Sall. C’est donc l’emmagasinement de plusieurs événements pendant plusieurs années qui a valu au jour du 3 mars lors de l’arrestation du bien-aimé Sonko, la descente du peuple dans les rues de la capitale en premier lieu. L’arrestation de Sonko pour trouble à l’ordre public et l’accusation de viol sont de fait l’élément déclencheur. Une goutte d’eau qui a fait déborder le vase, qui a engendré un déclic et la jeunesse se mit à protester pour réclamer justice. Toutefois il est important de savoir qu’il ne s’agit pas seulement de réclamer justice pour leur leader mais pour tous ceux qui ont subi une oppression de la part du pouvoir. Justice, égale dignité, et emploi pour n’en citer que ceux-là, voici la demande du peuple. L’offre, c’est-à-dire une réponse politique concrète de leurs besoins tarde à se concrétiser. Notons que de nos jours en Afrique nous observons des jeunes impatients pour le changement. Une jeunesse qui va vite versus un système politique archaïque, obsolète. Elle réclame la fin de la politique politicienne qui empêche la réalisation de leur rêve, le développement de leur pays. On constate dans la foulée un gap générationnel entre le régime politique en place, un appareil d’Etat hérité des premières années d’indépendance qui de facto n’est plus efficace et une jeunesse dynamique.

Une jeunesse moderne face à un système politique obsolète.

Pour chaque génération, il faut une mise à jour de l’appareil d’Etat avec des hommes capables d’écouter et de comprendre le degré de conscience de sa jeunesse. La majorité de la jeunesse en Afrique soit 60% de la population est âgée de moins de 25 ans. Même si les infrastructures dans les capitales tardent à se moderniser, les esprits des jeunes sont prêts et ils patientent. Mais jusqu’à quand ? Tel est le problème. Les jeunes sont de nos jours très connectés avec le reste du monde et savent ce qui se passe en dehors des frontières. Ils sont outillés, renseignés et illuminés. Plus rien ne peut les échapper en termes d’information. Etant tous connectés avec le reste du monde ils veulent que le changement qui se produit ailleurs se fasse chez eux et qu’ils soient aussi acteurs de ce dit changement. Il se trouve qu’actuellement les jeunes en ont marre d’être ignorés et leur volonté non considéré. Ils sont alors dans les rues pour le réclamer au pouvoir. S’il pouvait, le pouvoir allait transformer les sociétés en une baguette magique et c’est en réalité l’autre problème. Les politiques veulent tout faire d’un coup. Ce qui revient à promettre le changement d’un claquement de doigts; c’est promettre sans pouvoir, c’est promettre sans pour autant l’honorer, c’est perdre le sens de l’honneur. Comme disait Montaigne « c’est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble » . Quand tel n’est pas le cas, une fausse note retentie aux oreilles de la population. Et là, face aux faits, la fausse note est abrutissante.

Sur fond d’un peuple déterminé et prêt à prendre son destin en main, le Sunugal risque de couler, à bord d’un capitaine insouciant des besoins de ses passagers. Leur bien-être, leurs soucis, leurs problèmes quotidiens et leurs conditions de vie n’ont aucune valeur, aucune signification face au capitane et son équipage. Où va le Gal gui de l’Afrique de l’Ouest, le pays de la Téranga ? Ce bateau si hospitalier accueille avec son charme d’hospitalité toutes les cultures et tous les peuples du monde. Sunu Gal gui va-t-il accoster à bon port ? « Le futur n’est écrit nulle part, il est entre nos mains » dixit Paul Valéry.

Le peuple veut une mise à jour du système, il a un espoir et il semble être Ousmane Sonko. Alors voir celui qui incarne le changement, la rupture avec une politique du renouveau, l’éliminer politiquement c’est éteindre la lueur d’espoir qui scintille dans les cœurs. Et ce peuple dit non, il en a assez, « dafaa doy ! » . Regardons ce qui s’est déroulé au Mali avec le départ de leur président Ibrahima Boubacar Keita, au Nigéria avec le mouvement End Sars, en Algérie avec le mouvement Hirak qui exigea le départ du président Abdelaziz Bouteflika et au Soudan également avec le départ du président Omar El Bachir. En voyant ces séries d’évènements, le constat est fait. La jeunesse veut le progrès. Elle veut être au même niveau que les autres jeunes épanouis. Cette jeunesse intelligente qui fréquente les grandes universités à l’étranger se rend compte que le problème ne se situe pas au niveau de l’intelligence car elle brille partout et est devant. La question qui se pose c’est pourquoi eux et pas nous ? Où se situe le blocage ? Elle a la réponse à sa question. Le blocage est le manque de volonté politique. Il faut des dirigeants d’aujourd’hui avec des lunettes d’aujourd’hui et non du passé. Il est impératif dans ce cas de figure d’avoir une nouvelle classe politique, une nouvelle idéologie et de nouvelles méthodes correspondant au temps actuel pour répondre aux urgences actuelles. Pour tout système obsolète, il faut une mise à jour. Et ce que les politiques doivent savoir c’est qu’à chaque génération il faut un système adapté. S’il y a crise, c’est pour une nouvelle reconstruction car c’est ça la société, c’est une dynamique, elle se fait et se refait. Aucune société n’est figée dans le temps et les mutations se font rapidement car le monde bouge. Ce sont les effets de la mondialisation et cette jeunesse a la volonté ainsi que la détermination d’y participer. Elle en a marre de sa posture de spectateur. Il est temps que l’Afrique y prenne part en devenant acteur et les jeunes le font à leur manière et rythme.

Un reflet de la modernité de la jeunesse : la culture

L’évolution de la musique et du cinéma africains reflètent la structure d’une société nouvelle et moderne. C’est l’angle à partir duquel les dirigeants doivent analyser l’évolution de la société en l’occurrence la jeunesse car comme le considérait Gaston Berger, « le monde va vers sa jeunesse ».

Pour parler globalement, portons notre regard sur l’évolution des artistes sur la scène internationale. Ils s’adaptent à la modernité et rend moderne la musique africaine qui rayonne partout dans le monde. La culture reflète la modernité des sociétés. Et quand on analyse l’évolution des sociétés on y détecte un élément clé très évolutif, la musique. Dans cette course à la mondialisation culturelle, l’Afrique y joue sa partition et continue toujours d’influencer le reste du monde. Ils sont au diapason de la musique mondiale et augmentent leur performance à l’étranger. Tout le monde écoute africain, danse africain, et s’habille africain. L’Afrique fait bouger le monde à travers la culture. Et c’est ce que les dirigeants n’arrivent pas à comprendre. Et tant qu’ils ne feront pas cette lecture pour comprendre la jeunesse et son évolution, aucune rupture ne pourra se faire. Les artistes africains ont toujours marqué leur temps jusqu’à présent. Chez les nigérians là où l’industrie musicale et cinématographique (2e mondiale) marche extraordinairement et au Sénégal avec une nouvelle génération de cinématographes réalisant de nouvelles séries télévisées très modernes, à titre d’exemple, montrent alors l’état d’esprit de la jeunesse. Une jeunesse innovante et créatrice de nouvelles cultures. Regardons du côté de la mode, il y a eu une réappropriation de la culture vestimentaire des jeunes. Ils s’habillent, comme on l’appelle, en tenue « tradi-moderne » et cela inspire le monde entier.

Alors pourquoi ne pas construire de nouveaux modèles à partir de là où se joue le jeu ? Partir de la culture, de l’africanité pour écrire une nouvelle histoire. Autrement dit, revisiter l’ensemble du système, innover et non reproduire un système hérité de l’époque coloniale. Vivre notre afrocontemporanéité comme l’écrit Felwine Sarr dans Afrotopia, est ce qui va permettre au continent de se doter de ses propres moyens pour répondre aux besoins de son temps et au rythme de sa jeunesse. Le schéma politique doit découler de là. Le développement est en réalité culturel. Le socle pouvant le soutenir n’est que le système politique sur lequel repose le modèle de développement. Donc s’il y a lieu de changer le système, il est important de ne pas seulement remplacer les acteurs mais aussi revoir les fondements, la racine. Des leaders panafricains comme Thomas Sankara ou comme Cheikh Anta Diop faisaient appel à cela. Le problème est alors plus profond qu’on ne le pense, un travail de déconstruction est nécessaire pour que cela puisse se produire. En observant la jeunesse nous voyons qu’elle est prête raison pour laquelle elle s’empresse. Et ça, il est important que les politiques le comprennent. Sinon un gap risque toujours d’avoir lieu.

Comment une population majoritairement jeune, avec plus 70% âgée de moins de 35 ans se voit diriger par des hommes politiques de l’âge de leurs grands-pères ? Voici le problème un peu partout.

Vers une alternance générationnelle au Sénégal


« Les bois sont déjà noirs et le ciel est encore bleu »
, Paul Desjardins, cité par Marcel Proust, In A la Recherche du Temps Perdu

La jeunesse sénégalaise veut du sang neuf. Ils veulent une élite politique qui les comprend, qui les écoute et qui agit conformément aux enjeux du temps. Pour en arriver à cela il est impératif de changer l’appareil d’Etat et installer un neuf. Il faut changer certaines règles du jeu politique. La démocratie sénégalaise est en cours d’évolution et a besoin d’un nouveau souffle pour un nouveau départ. Les enjeux qui guettent ce pays sont énormes. Le Sénégal est réputé comme étant un pays stable et paisible. Le capitaine du bateau et son équipage sont en train de créer les conditions d’une instabilité dont nous ignorons tous la destination finale. Les jeunes sont déterminés et sont en train de faire leur devoir de citoyen, résister face à toutes formes d’oppression.

Comme toute société qui évolue, les crises ne peuvent être évitées. Surtout quand il s’agit d’une demande de changement de leaders conformément à son époque. Au Sénégal comme ailleurs en Afrique, il y a une demande pressante des citoyens qui veulent un renouvellement de la classe politique qu’il juge dépassée par les événements. Pour chaque génération, le leader qu’il faut. Le leader actuel de l’opposition est un jeune né en 1974 tenant tête à un président né en 1961. L’écart peut se lire même si en politique cela n’a point une grande importance mais il s’agit d’un atout pour un potentiel capitaine prétendant être le porteur de voix de la jeunesse pour un Sénégal nouveau. Le président de l’Assemblée Nationale Moustapha Niasse, lui, est de 1939 et a pratiquement le double de l’âge de Sonko. Cela montre les écarts de générations entre les acteurs. Et ce même Niasse a pris part à tous les gouvernements depuis Senghor. Pour un représentant du peuple, la prise en compte de l’âge dans la représentativité est un élément clé sachant que 70% de la population est âgée de moins de 35 ans. Le gap est énorme pour des jeunes qui pensent que le changement se fait par la jeunesse. Lors de la prise du pouvoir, Macky Sall n’avait que 51 ans face à un président sortant âgé de 86 ans. Les jeunes scandaient que le « vieux » doit quitter et laisser la place au plus jeune. Ainsi M. Sall est devenu le premier président élu né au lendemain des indépendances.

La question qui se pose ici est de savoir si en 2024 lors des prochaines élections le Sénégal élira-t-il un nouveau jeune président ?
Donc là il est clair que le peuple veut toujours du sang neuf parce que ce dit peuple est très jeune. Pour un nouveau moteur, on a toujours besoin de l’huile neuve pour le faire fonctionner. Ainsi si nous analysons de cet angle, il est certain que le Sénégal veut encore procéder à une alternance générationnelle. Si le climat politique est clément à cette date, elle aura certainement lieu. Ce qui est capital dans cette alternance c’est qu’il ne s’agit pas seulement du facteur âge. D’autres facteurs plus concrets sont à noter : une rupture avec un système hérité de l’ère coloniale ; un changement d’idéologie pour une plus souveraine, plus patriote et plus panafricaniste ; une gouvernance plus transparente ; une Assemblée du peuple et non du gouvernement ; une économie avec de vrais champions nationaux plus compétitifs ; une restructuration d’une monnaie communautaire problématique ; une nouvelle imposition avec plus d’équité et des gouvernants avec moins d’avantages.

Voici en réalité ce qu’attendent les jeunes de l’alternance générationnelle. L’attente est alors une révolution à la sénégalaise prenant en compte tous les aspects sociétaux. Pour des défis si énormes il est clair qu’il faut une volonté kantienne et une réelle ambition pour la concrétiser. Et comme pour toute nouvelle génération de leader, celle-ci est ambitieuse. Au fond c’est ça l’image de la jeunesse, elle est toujours ambitieuse. Toutefois la question qui se pose est la suivante : le potentiel capitaine du bateau, dispose-t-il des moyens pour mener une telle traversée dans des conditions climatiques si orageuses ? Le temps est le seul instrument capable de nous donner des éléments de réponses à cette question.