Georges Dioudj Ndour

Samba Koulél Tall, fils de Yoro et de Oulimata Sy, digne héritier de Thierno Tall dirige un troupeau de bœufs vers le fleuve. En ce mois de Juillet le soleil tape fort dans cette partie Nord du Sénégal. Les bêtes suffoquent et étalent leurs langues, hommes et femmes se ruent vers le fleuve dans l’espoir de trouver un peu de fraicheur. Samba,17 ans, taille moyenne, la peau claire, se jette sur les eaux du fleuve pour hydrater son corps d’athlète. Ses cousins Demba et Ablaye qui l’accompagnent font de même dans une ambiance joviale et décontractée. Le jeune Samba profite de ses derniers moments dans cette zone pour se prélasser et se ressourcer.

- Dire qu’on aura plus ces moments. Tu vas laisser tes cousins et partir chez ces "Naar" (Maghrébins), lui lance Demba.
- Tu pouvais partir en France et voir les champs Elysées, je me demande pourquoi tu as choisi le Maroc, ajoute Ablaye.
Samba ne dit rien et glisse sa tête sous l’eau.

La maison des Tall ne désemplit jamais, il est difficile de distinguer les enfants de Yoro de ses neveux, nièces, cousins ou cousines et autres invités. Polygame de son état, Yoro use de sa richesse pour parrainer sa famille élargie. Sa grande concession et son nombreux bétail l’aident à abriter et nourrir ces nombreuses bouches. Samba sait que tout ceci ne durera pas, il le médite chaque nuit. Samba veut être indépendant et rendre fiers ses parents. Fils unique du côté de sa mère, Samba demeure être l’enfant chéri de Yoro, l’un des seuls à avoir percé dans les études, le seul à décrocher la mention BIEN au bac de toute la commune de Podor. La mère de Samba a longtemps subi les jugements de ses proches après plusieurs années de mariage sans enfant. Ces reproches ont d’ailleurs poussé Yoro à épouser une deuxième femme, une Mauritanienne qu’il avait rencontré à Nouakchott. Ce mariage lui donnera 5 enfants. Malgré tout Yoro ne cessait de chérir sa première épouse, l’élue de son cœur, celle avec qui il a cheminé dans la pauvreté jusqu’à sa richesse. Celle qui lui a donné un enfant si doué dont les ancêtres prédisent un bel avenir.

- Alors mon fils finalement tu pars quand est-ce ?Lance Yoro en prenant la tasse de thé que lui sert Samba.
- Dans un mois père, le temps pour moi de régler quelques formalités à Dakar,répond Samba.
- C’est bien. J’ai parlé à ton oncle Seydou qui vit à Pikine (Dakar) pour que tu restes là-bas jusqu’à ton départ. Tu pourras acheter des habits à Dakar il parait qu’il fait froid à Morékés. Samba lance un sourire gêné vers son Père.
- On dit Marrakéch Pére , c’est Marrakech.
- Ah c’est la même chose. Tu ne parles pas mieux le français que mois hein Samba, attention.

Samba éclate de rire, son père lui lance une paire de sandales.

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Yoro n’avait pas fait de grandes études certes mais il se débrouillait pas mal en Français. Il parle un français "Débrouillé" comme la plupart des analphabètes Sénégalais. Ce qui ne l’a pas empêché de faire partie des notables de Podor.Samba était contrarié à l’idée d’aller à Dakar même s’il pense que c’est une étape fondamentale à franchir pour sortir du Pays. En dix-sept années d’existence il n’a jamais quitté Podor. Les nouvelles qu’il recoit de la capitale ne le rassurent guère : violence, exode massif, surpopulation, pollution … . De plus, Samba déteste Oulimata, la femme de son Oncle. Cette mégère a pourri la vie de sa mère et ne cesse d’envenimer les rapports entre Yoro et son petit frère Seydou. C’est à cause d’elle que Seydou ne vient presque plus à Podor. Samba pense que sa tante lui mènera la vie dure à Dakar même si c’est pour quelques jours.

Oulimata était très fière de son fils, ce petit bonhomme a été pour elle une lueur d’espoir face à tant d’années de souffrances causées par sa coépouse et l’entourage de son mari. Elle peut maintenant lever haut la tête, son fils lui a redonné le sourire. En face, Soukéyna, sa coépouse Mauritanienne a eu sa "récompense". De ses cinq enfants dont 3 filles et deux garçons, aucun ne fait la fierté de Yoro. L’ainé Karim est un nonchalant qui fait des coups bas dans les affaires de son Père pour s’enrichir ; Momodou a quitté Podor après avoir enceinté la fille de l’Imam, d’après les nouvelles il vit désormais au sud du Pays et continue à faire des ravages. Safiatou, la fille ainée est divorcée après un an de mariage à Dakar, les deux autres filles Aram et Penda ont chacune un enfant né hors mariage qui sont hébergés et nourris par Yoro.

Oulimata avait de quoi rendre grâce à Dieu et ne trainait aucune rancune vis-à-vis de sa coépouse tout le contraire de Soukéyna. Elle savait que l’absence de son unique fils laissera un vide mais elle ne peut empêcher le destin. Ses prières accompagneront Samba dans le royaume chérifien.
Samba a fini de faire ses bagages, sa mère lui a grillé des arachides et préparé beaucoup de couscous pour la circonstance, confectionné un beau boubou traditionnel ainsi qu’un talisman contre le mauvais œil.

- Maman tu sais bien que je ne le porterais pas, je déteste ces trucs,lance Samba debout dans la chambre de sa mère.
- Prends-le au moins et garde-le prés de toi, on ne sait jamais mon fils, les gens sont méchants de nos jours.
Samba prend le talisman malgré lui et le fourre dans son sac à dos.
- Tache de bien te comporter là-bas et de savoir ce qui t’y amène. Evite les mauvaises fréquentations…

La voiture Klaxonne.

- D’accord maman je dois partir maintenant. Il y’a le chauffeur qui m’attend.
- D’accord. Vas-y. Que Dieu te garde mon fils.

Oulimata essaie de contenir ses larmes mais l’émotion est trop forte. Samba l’embrasse sur la tête et sort de la chambre.

Dehors, toute la concession est sortie pour dire aurevoir à Samba. La clique de Soukéyna use de son hypocrisie devant Yoro pour souhaiter bonne route à Samba sous des larmes de crocodile.

- Mon chauffeur te conduira jusqu’à Saint-Louis, delà tu pourras prendre les voitures qui vont à Dakar. Ton oncle viendra te prendre à la gare, voici son numéro. Yoro lui tend un bout de papier et une enveloppe.
- Tu prendras ça comme argent de poche. Allez, file mon fils. Que Dieu te garde.

Samba s’engouffre dans le pick-up qui démarre et soulève le sol argileux. Une meute de bambins court derrière la voiture. Une nouvelle page s’ouvre dans la vie du petit Peul.

(à suivre…)