Georges Dioudj Ndour

La voiture du type "7 places" (1) arrive à la gare routière de Colobane alors que Dakar vient de connaitre ses premières "vraies" pluies en cette matinée du 17 aout. La boue a fini de prendre place dans les coins et recoins de la gare, sans compter les déchets drainés depuis le centre-ville.
Samba sort de la voiture avec un grand ouf, broyé était-il par la masse colossale de sa voisine de siège qui ne cessait de rabâcher des mouvements du corps. Que faire dans une voiture raccommodée, ne disposant d’aucune sécurité encore moins de confort. Endurer plus de deux-cent soixante kilomètres dans ces conditions, il faut le faire. Dure d’être pauvre dans un pays du tiers monde !
Samba a l’air complétement désarçonné, son premier réflèxe est de sortir son portable et d’appeler son oncle. Mais le jeune homme devint pensif. " Fais attention à ne pas sortir ton portable à Colobane, on risque de te le chiper en un temps record ; on risque même de te chiper ton caleçon sans que tu t’en rendes compte. Ne donne la main à personne au risque qu’on te vole ton sexe ". Samba était prévenu par ses cousins, il était en terrain miné.

- Samba ! Samba ! crie un homme, debout sous un hangar, parapluie à la main.

L’homme avance vers le jeune homme sourire aux lèvres. Samba hésite un peu, il est sur le point d’ouvrir la bouche quand l’homme rabâche :
- C’est moi ton oncle Seydou. Ça fait si longtemps.
Ce n’est pas possible se dit Samba, son oncle avait si maigri et commençait à pousser des cheveux blancs. Cela faisait presque cinq ans que les deux ne s’étaient pas revus mais Seydou avait vraiment changé.
- Bon sang ne saurait mentir ! Tu as grandi mon fils !
Seydou prend son "fils" dans ses bras et remue son corps frêle.
- Bon…bonjour Oncle Seydou lance le jeune homme avec un petit sourire.
- Alors, tu as fait un bon voyage ? Tes parents vont bien ?
Samba acquiesce de la tête. Son oncle prend sa petite valise et arrête un taxi.

Le taxi jaune et noir parcourt les rues de Dakar. Samba est tout ouï de découvrir enfin Dakar, le désordre qui fait son charme, ses grands immeubles…
- Félicitations pour ta réussite au Baccalauréat. Ton père m’a dit que tu aimerais t’inscrire en Médecine à Marrakech.
- Oui mon oncle.
- C’est très bien mon fils. C’est un bon choix. Je voulais faire médecine en mon temps mais les vicissitudes de la vie ont fait de moi un professeur de mathématique dans un petit collège. Mais je rends grâce à Dieu mon petit, j’ai quoi de nourrir ma petite famille.
Seydou avait un avenir prometteur avant de quitter Podor pour Dakar . Il fut accepté à la faculté des Sciences de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (2) malgré ses bonnes notes qui le prédestinaient en médecine. Après sa licence et à la recherche de boulot il commence à donner des cours dans un collège public de Dakar . Il abandonna ses études en sciences à la fac et entama une carrière d’enseignant.
- Tu pourrais conseiller ta cousine Raïssa , elle s’est plutôt tournée vers les lettres . J’ai essayé de l’en dissuader mais elle n’en fait qu’à sa tête. Les branches littéraires n’ont pas d’avenir dans ce pays. Ils pullulent à la fac et peu d’entre eux sortent diplômés. Les rares diplômés deviennent la plupart enseignants ou s’engagent dans l’armée.
Seydou avait un deuxième enfant, Tidiane, AKA (3) TIJ. Tidiane ne vivait que de hip-hop. Il ne restait jamais à la maison, toujours avec les copains entrain de fredonner. Il était en froid avec son père Seydou depuis qu’il a abandonné les études juste après le bac pour sa passion. Par plusieurs fois il avait boudé la maison à la recherche d’un asile. Mais l’enfant prodigue revenait toujours au bercail. A 25 ans il peinait à avoir une assise financière et passait par sa mère pour soutirer des pécules à son père. Seydou en avait marre et voulait le bouter hors de la maison mais sa femme l’en dissuader toujours. Il avait peur que son rejeton finisse par devenir esclave du chanvre indien comme ce fut le cas pour ses nombreux amis. Mais TIJ ne succombait pas à la tentation, ‘ ‘ Tout sauf ça ’ aimait-il dire. Il résistait mais pour combien de temps ? La tentation est trop forte surtout dans la banlieue dakaroise où de nombreux jeunes sans emploi sont laissés à eux même.

Le taxi jaune et noir s’immobilise devant un immeuble à 4 étages. Samba sort du taxi et remarque une dame debout sur la véranda du quatrième étage de l’immeuble entrain de l’épier. C’est Oulimata Ly , la femme de son oncle. Elle a beau porter le même prénom que sa mère, mais Samba la considérait comme une peste. Contrairement à son mari, Oulimata Ly avait bien grossi depuis son dernier séjour à Podor. Elle profite bien du maigre salaire d’enseignant de son mari.
Oulimata lance un sourire grimacé vers le jeune homme qui baisse le regard et s’engouffre dans l’immeuble avec son oncle. Dans sa tête, Samba essaie de trouver les mots pour converser avec sa tante. "Elle doit sans doute demander des nouvelles de Podor ? De la famille ? Que vais-je lui répondre ? Devrais – je sourire ? Devrais – je me taire ? Non je dois faire semblant, de toute façon je ne vais pas durer ici."

************************************

Oulimata ouvre la porte et fais face au jeune homme.
- Ah le voilà notre nouveau bachelier ! Tu as fait un beau voyage ? Tes parents vont bien ?

Samba acquiesce de la tête, surpris par la réaction spontanée de sa tante.
- Ton oncle nous a dit que tu te préparais pour partir au Maroc. C’est bien mon fils, tu es brave, je savais que tu allais réussir. Tout le mérite est pour ta mère, c’est une femme très brave.
- Ah laisse lui le temps de se reposer un peu
, lança Seydou.
Seydou prend les bagages du jeune homme et le conduit dans une des trois chambres de l’appartement. Aucun doute c’est la chambre de TIJ. Les nombreux posters d’icônes du hip hop et de filles dénudées en témoignent.
- C’est la chambre de Tidiane tu pourra y rester. Regardez-moi ce désordre, ce gosse va me rendre fou, se désole Seydou.
Samba sourit timidement. Seydou sort de la chambre quand le jeune se prélasse sur le lit défait. Au fond, il était comme TIJ, lui aussi à un coté un peu désordonné comme la majorité des garçons.
Samba ferme à peine les yeux qu’une silhouette vint se pointer devant la porte. La jeune fille habillée en pagne, le corps magistralement sculpté étale un sourire à la fois suave et coquin.
- Eh bien, nous avons un hôte de marque, le nouveau bachelier, avec la mention BIEN S’il vous plait.
Samba sursaute du lit comme s’il avait vu ses bœufs franchir le champ d’un sérère (éthnie voisine et cousin à plaisanterie des peulh). Il n’en croyait pas ses yeux, sa cousine avait tellement grandi et était de plus en plus belle. Telle une biche du parc Niokolo- koba (4). Le cri du bébé dans les bras de Raïssa extirpe Samba de son fantasme.
- Oh ne pleure pas mon amour, dit tendrement Raïssa.
Elle tapote tendrement les fesses du bébé qui se tait peu à peu.
- Est-ce que c’est ton…
- Quoi !
Cria Raïssa. Tu me crois si stupide?
Raïssa avance vers son cousin le bouscule tendrement et redit :
- C’est la fille de la voisine, elle est partie au marché. Je prends soins d’elle. N’est-ce pas mon cœur? Dit bonjour à Tonton Samba. Samba rougit un peu. Il ne peut se passer d’admirer la beauté de sa cousine. Comment pouvait-il penser ainsi. Raïssa n’est pas comme les autres, comme ses demies-sœurs. Elle ne souille pas son corps pour des futilités. Il voulait lui demander si elle était toujours vierge, si elle avait un petit copain mais ce n’était pas le moment. Il aura du temps pour bavarder avec son premier amour.
- Alors tu viens d’arriver ? J’espère que tu m’as apporté un cadeau ?
Samba se prend la tête dans les mains.
- J’avoue que je n’ai pas eu le temps mais j’irai à Colobane ces jours-ci, je t’achèterai un truc.
- J’espère bien,
ajouta Raïssa.
Le bébé se réveilla à nouveau.
- Oh ! Je pense qu’elle veut téter. Je vais voir si sa mère est de retour. A toute "couz" (5) .
Raïssa étale un large sourire puis bondit du lit. Elle sort de la chambre à pas lents. Samba le suit du regard et en profite pour mater ses rondeurs.
- Arrête de mater le cul de ma sœur couz, espèce de "pédophile", cria un jeune homme vers la fenêtre de la chambre.
C’était TIJ qui était de retour après trois jours en ‘ ‘cavale ’’. Samba a eu des sueurs froides pensant que c’était son oncle. Il prit un coussin du lit et le jeta sur TIJ.
- Mec tu m’as fait peur !
- Trouillard
redit TIJ en escaladant la fenêtre.
Comme à son habitude, TIJ préférait passer par la fenêtre de sa chambre située près de la porte d’entrée au risque de croiser "Pa Allemand" (6), le sobriquet qu’il avait choisi pour son père.
Vêtu d’un pantalon Jean bleu grand comme des pattes d’éléphants et d’un débardeur, des baskets, un casque sous les oreilles, les cheveux tressés ;TIJ vint saluer son cousin à la manière des rappeurs et entame une discussion avec celui-ci sur des sujets divers : politique, économie, société…

Trois jours plus tard Samba se rendit à Colobane avec TIJ pour changer sa garde-robe.
- Je connais beaucoup de gars dans le marché, je pourrais te brancher.
Tidiane était très connu du marché, il avait beaucoup de faciliter à marchander. Normal, c’est un boy Dakar (7).
Samba parvint à s’acheter des habits et des chaussures dans ce marché populaire de Dakar . Il en a profité pour acheter un joli sac à main à Raïssa ainsi qu’un tissu en basin pour sa tante. Samba a voulu faire ce geste spontané à celle qu’elle détestait le plus au monde. Mais ce séjour à Dakar lui a permis d’apaiser son cœur envers sa tante. Inutile de vous dire que le chemin du retour à Pikine fût marqué par un monologue du très cultivé et "connait tout", TIJ.
- Avec mes potes nous allons mettre sur le marché un single. Ça fera un tabac ‘ ‘couz’ ’ , je te promets. Qui sait, peut-être que je viendrai jouer un de ces jours à Marrakech. J’ai un copain qui vit là-bas depuis 3 ans il t’accueillera , le temps que tu te trouves un appartement , ajoute-t-il avant de reprendre avec plein d’humour: fais attention à ne pas tomber amoureux d'une narr (7) ,il parait qu'elles sont irrésistibles , tu risques de ne plus revenir couz.
La dernière semaine du séjour de Samba à Dakar fut marquée par ses démarches pour régulariser ses papiers et passer le fameux vaccin contre la tuberculose. Pauvres négros !
Les Adieu entre Samba et Raïssa furent mêlés de beaucoup de tristesse. Raïssa promit à son cousin de bosser dur pour avoir une mention et le rejoindre à Marrakech. Le jeune homme doit néanmoins patienter deux bonnes années avant de voir sa cousine débarquer, car il lui reste deux années au lycée.
Seydou accompagne seul son neveu à l’aéroport Blaise Diagne de Diass, TIJ devant se rendre à un concert de Rap à Thiès (prêt de Dakar).
Il est 23h15 mn en ce 30 Août 201. , quand le Boeing de la Royale air Maroc survole la capitale et offre une magnifique vue aérienne de Dakar. Direction Marrakech.

(à suivre…)

Légende

  1. Voiture transport au Sénégal
  2. Première université publique du Sénégal
  3. Pseudonyme
  4. Plus grand parc d'animaux du Sénégal
  5. Diminutif du mot cousin
  6. Vieux mécontent
  7. Maghrébin(e)