Georges Dioudj Ndour

Le Boeing de la Royale air Maroc atterrit sur le tarmac de l’aéroport Mohamed V de Casablanca. Il est 05h33. Samba, vêtu d’un pantalon Jean bleu et noyé dans une veste en cuir suit la queue pour régler quelques formalités d’arrivée. Au cours du vol il s’est lié d’amitié à Cheikh, un étudiant Sénégalais qui a bénéficié comme Samba de la bourse de l’AMCI 1. Les deux font partis des étudiants bénéficiaires de la bourse d’excellence pour venir continuer les études au Maroc. Cheikh, contrairement à Samba s’est inscrit dans une école d’Ingénieurs à Rabat. La foule immense de subsahariens avance vers les 4 guichets, passage obligatoire pour fouler les terres Marocaines. Samba se retrouve nez à nez avec le policier Marocain, le jeune homme sourit timidement.

- Passeport s’il vous plait dit l’homme de loi stoïque.

- Samba glisse son passeport sous la vitre, l’air anxieux.

- Qu’est-ce que vous venez faire au Maroc ?

- Je viens pour suivre des études en Médecine Monsieur.

- Vous avez un parent ici, un tuteur ?

- Oui. Je serai chez un ami à Marrakech…

- Donnez-moi son adresse s’il vous plait, coupa l’homme ?

- Pardon, répondit Samba l’air surpris.

L’homme fixa le jeune homme avant de rabâcher d’un ton sec :

- Donnez-moi l’adresse de votre ami à Marrakech !

Samba à l’air complétement déboussolé, il ne s’attendait pas à ce qu’on lui demande l’adresse d’un homme qu’il ne connait même pas.

- Je ne connais pas son adresse mais j’ai son numéro de téléphone.

L’homme perd patience, un autre policier pointé derrière lui souffle quelques mots l’oreille. Les deux éclatent de rire subitement. L’homme se ressaisit.

- Monsieur, veuillez sortir de la queue s’il vous plait.

Samba s’irrite, il tire son sac à dos et y sort quelques papiers qu’il présente au flic : son invitation, son diplôme du bac … mais l’homme ne voulait rien entendre.

- Monsieur, sortez de la queue s’il vous plait.

Samba prend son sac à dos et sort de la queue.

- Suivant, ajouta le flic.

Le jeune homme, l’air perdu tire de sa poche un numéro et compose. Malheureusement pour lui l’appel ne passe pas. Il vient s’assoir au fond du hall passager. Cheikh le rejoint.

- Mec c’est bon pour moi ! Tu as régularisé ?

- Non il m’a demandé mon adresse à Marrakech, mais comment je peux savoir.

Samba est au bord des larmes.

- Essaie d’appeler le gars, il pourra te donner son adresse.

- J’ai essayé mais ça ne passe pas.

Une dame, la quarantaine environ, assise près d’eux sentant leur désespoir leur demanda :

- C’est votre premier voyage ? Oui ça se voit, à voir vos têtes d’enterrement. J’imagine qu’il t’a demandé ton adresse. C’est toujours la même chanson. Ils le font juste pour t’irriter.

- J’ai essayé d’appeler mon ami mais ça ne passe pas lança Samba.

- Je peux voir le numéro ?

Samba lui tend son téléphone.

- Mais ce n’est pas l’indicatif du Maroc ça ! Vous venez de quel pays ?

- Du Sénégal répondit Cheikh.

- Ah oui. Vous n’avez pas son numéro du Maroc ?

- Non, c’est le seul numéro que mon cousin m’a donné ajouta Samba.

- Essayez de l’appeler via WhatsApp pour voir. Vous avez la connexion ? Sinon vous pouvez utiliser le wifi de l’aéroport, c’est affiché juste derrière. Bon ravi de faire votre connaissance moi je suis guinéenne, je dois prendre le vol pour Madrid. Courage frère.

La dame s’écclipsa . Samba active sa connexion et appelle l’ami de TIJ via WhatsApp. Après quelques secondes celui-ci sort de son sommeil et décroche.

- Allo, c’est qui ?

- Allo, c’est moi Samba, Samba Tall, le cousin de TIJ répondit Samba tout excité.

- Ah oui je vois. Alors tu es à Marrakech ?

- Non pas encore je suis à l’aéroport de Casablanca, on me demande ton adresse à Marrakech.

- Ah oui d’accord. Dis-lui que c’est Saada, avec deux A.

- D’accord, et vous vous appelez ?

- Khadim Thiam. Une fois à l’aéroport de Marrakech tu m’appelles, je viendrai te chercher. Je t’envoie tout de suite mon numéro du Maroc.

- D’accord Khadim. Merci beaucoup.

Samba raccroche et file vite vers un autre guichet, évitant l’autre aigri. Il présente les mêmes papiers au policier qui ne suit pas la même procédure que l’autre. Le jeune homme présente juste son passeport et son invitation. Le policier lui délivre un laisser passer. Samba poussa un ouf et, avec Cheikh, il rejoignit la troupe d’étudiants Sénégalais vers le hall d’entrée. Après un aurevoir chaleureux Samba se sépara de son désormais ami Cheikh et lui promit de lui rendre visite à Rabat un de ces jours. Le jeune peuh doit néanmoins patienter trois tours d’horloges, la durée de son escale à Casablanca avant de rejoindre Marrakech. Il en profite pour visiter l’aéroport tout en surveillant l’heure bien-sûr. Il est tout oubli d’admirer l’étendue du bâtiment, ses escaliers mécaniques, les nombreux halls et cabines. Il a même failli se perdre, heureusement son sens du repère de bon Peulh l’a permis de se retrouver. Les heures bouclées, il prit un petit avion, tout différent du Boeing de la RAM 2 pour Marrakech. Il fait jour, le soleil tape fort sur le bitume. Le jeune homme profite de la fenêtre avion pour admirer l’architecture des lieux, la plaine, la vue aérienne magnifique de cette partie du pays. Ce qui le frappe le plus c’est la sauvegarde du littoral, tout est bien organisé, pas de pollution ni de spoliation des terres.
Après une heure vol l’avion atterrit à l’aéroport de Marrakech, certes beaucoup moins grand que celui de Rabat mais tout aussi joli. Samba se hâta de prendre ses bagages. Pas de flic pour l’emmerder ici. Il partit au change pour convertir le petit CFA en dirham Marocain (1dh = 60 FCFA) et remarqua évidemment que son argent de poche a un peu diminuer en valeur. Il sort de l’aéroport quand une forte canicule tape sur sa tête, le thermomètre affiche les 40°. ‘ ‘ On dirait Podor pensa-t-il ’ ’. Marrakech pendant cette période est une véritable fournaise. Samba enlève sa veste en cuir à peine sorti, et reste avec son tee-shirt en dessous. Il prit son portable et essaya d’appeler Khadim. Celui-ci décroche sur le coup et lui promet de le rejoindre dans une trentaine de minutes. Une heure plus tard, un homme se pointa devant Samba alors que le jeune peulh, assis près d’un jardin en face de l’aéroport était presque dans les bras de morphée. D’un réflexe inouï et sentant une présence humaine, Samba se redressa. L’homme, la trentaine environ ressemblait à un rasta jamaïcain. Il s’était habillé en mode Baye Fall3, drôle d’accoutrement pour quelqu’un qui est en terre étrangère pensa Samba.

- Mon vieux tu m’as l’air Ko. Je me présente, je suis Khadim, l’ami de TIJ.

Samba se leva d’un coup tel un jeune soldat qui voit son caporal pour la première fois.

- Enchanté Khadim , je m’appelle Samba Koulel Tall. Je suis le cousin à TIJ.

- Ah oui, il m’avait parlé de toi avant que tu ne quittes Dakar. TIJ est un compagnon de guerre, nous avons fait les 400 coups ensemble. Comment il va maintenant ?

- Oh, tu connais ton ami, toujours obnubilé par le hip-hop.

- Ah oui, ça c’est tu tout TIJ. Moi aussi j’étais dans le hip-hop mais maintenant je suis dans la voie du mouridisme 4 frère, je suis un fervent disciple de Mame Cheikh Ibrahima Fall 5.

Samba ne dit rien, il n’avait pas envie de trop réfléchir, la fatigue le gagnait. Khadim arrêta un taxi et cria au chauffeur :

- Saada, Khouya 6!

Les deux s’engouffrent dans le taxi jaune, le chauffeur active le compteur.

- Sénégalais ? Demanda le chauffeur.

- Oui, répondit Khadim.

Dans la pensée commune de beaucoup de Marocains, tous les Africains vivant au Maroc sont des Sénégalais. Ceci est peut-être dû au nombre car la communauté Sénégalaise fait partie des communautés les plus dominantes au Maroc. Le chauffeur sourit un peu et continua :

- Sénégalais, très gentil. Vous êtes étudiants ?

Khadim et Samba se regardent.

- Lui, étudiant, moi commerçant, répondit Khadim.

Khadim avait l’habitude d’entendre la même chose et ça l’agaçait.

- Vous aimez le Maroc ? C’est un beau pays n’est-ce pas ? Une copine Marocaine ?

Les deux se turent un moment, Khadim se tourne vers Samba et lui souffle à l’oreille:

- Laissons-le parler seul, il se taira quand il en aura marre.

Le chauffeur continua à parler, donnant toutes les informations concernant le Maroc, on dirait un délégué du Ministère du Tourisme Marocain.
Trente minutes plus tard, le taxi arriva dans une cité où gravitent de grands immeubles. A peine sorti Samba fut frappé par l’unicité des couleurs sur les immeubles. Une peinture ocre peint ces immeubles très bien alignés le long de la route. C’est ça l’émergence !
En chemin il avait remarqué que tous les édifices avaient une couleur unique, l’ocre. A cela s’ajoute les drapeaux Marocains érigés le long du chemin.

- Bon nous voilà à Saada, c’est le Harlem de Marrakech reprit Khadim.

Saada est un quartier situé dans la banlieue de Marrakech, où vivent de nombreux subsahariens. Mais le quartier est aussi connu pour ses mœurs sociales donnant le tournis aux sages habitants la nuit, quand les chats sont gris. Khadim ouvrit une porte située au 6 -ème étage d’un immeuble insalubre et très encombrant. Dans l’appartement se regroupent près d’une dizaine de Sénégalais, entassés comme des fourmis. Le désordre qui régnait sur les lieux frappa le jeune Peulh.

- Bon les gars, c’est le cousin d’un ami qui vit au pays. Il restera ici quelques jours, le temps de trouver un chez lui.

- Quoi ajouta le jeune homme. Tu es fou Khadim , tu ne vois pas comment on étouffe dans ce taudis ?


Les murmures fusent de partout dans l’appartement. Khadim dans un coin celui qui semblait être le responsable de l’appartement afin de le sermonner mais leurs discussions ne présageaient rien de bon pour le jeune peulh, encore moins la tête que faisaient les autres locataires.

- Non, non. Pour ces genres de chose il faut en discuter en groupe. Tu n’as prévenu personne mon gars. Ton ami ne peut pas rester ici je suis désolé. Toi-même on t’abrite ici et tu veux en amener un autre, surtout en cette période de canicule, rabâcha le jeune homme.

- Essaie de comprendre Mor. Il n’a nulle part où aller. Essayons de le garder ici deux jours, le temps qu’il trouve un appartement.

- Non ! Non ! Pas possible, cria la meute de colocataires.

L’affront était de trop pour Samba, il prit sa valise malgré la fatigue et sortit de l’appartement. Khadim essaya de le rattraper mais celui-ci le dissuada qu’il allait trouver une solution. Qu’il allait contacter un autre ami qui vivait à Marrakech. Mensonge. Il ne connaissait personne dans cette ville, son orgueil de peulh l’avait emporté.
A pas lents, Samba descendit les escaliers de l’immeuble, les larmes aux yeux. Il pensa à sa famille, à sa mère. Les ennuis commençaient déjà ! Bienvenu au Maroc !

(à suivre…)

Légende

  1. Agence Marocaine de coopération Internationale.
  2. Royale Air Maroc.
  3. Branche de la communauté Mouride fondée par Mame Cheikh Ibrahima Fall.
  4. Confrérie religieuse très populaire au Sénégal.
  5. Guide religieux.
  6. Monsieur en langue darija du Maroc.