Georges Dioudj Ndour

Le Taxi jaune s’arrêta à la porte de la faculté de Médecine. Il était 8h10 mn. Tel un touriste Sicilien à Marrakech, Samba tirait sa petite valise et rentrait dans la faculté. Le jeune homme fut frappé par la belle architecture des lieux, la verdure … Il vit de jeunes étudiants arpenter le chemin des amphis. Il les suivit. Certains n’empêchaient pas de le regarder tirer maladroitement sa petite valise.

Samba entra dans un amphithéâtre bondé de monde, tous les sièges étaient occupés sauf ceux de derrière. Il posa sa valise et fouilla son sac pour chercher de quoi écrire. Il y tira un vieux carnet broyé par ses nombreux habits. Intimidé par le nombre d’étudiants, il fit tomber son sac et dispersa ses habits le long de l’allée, ce qui attira le regard des Marocains. Le professeur arriva, le cours pouvait commencer. C’était un cours de SEMIOLOGIE1. Le professeur commença par souhaiter une bonne année aux étudiants et en reconnut certains. Samba se disait qu’il les connaissait, que c’était des parents à lui. Il faisait chaud, très chaud. Samba ne voyait pas beaucoup de subsahariens dans l’amphi, il était un des rares et ça l’intimidait. Le cours dura 2 heures, deux longues heures pour Samba. D’abord il ne comprenait pas les explications du professeur, on dirait qui avait l’air de parler Chinois. Ensuite celui-ci parlait un français mélangé avec le darija. Tout était flou et il n’arrivait pas à se concentrer. Mais ce qui le surprenait le plus c’est que les autres arrivaient à suivre et à comprendre, certains posaient même des questions. Il se demandait pourquoi il n’arrivait pas à bien comprendre. Il décida de se renseigner au pré de lui mais celui-ci faisait semblant de ne pas l’écouter. Certains changeaient même de place à force que le jeune homme leur posait des questions. Après les deux heures les étudiants rangèrent leurs bagages, le professeur sortit, Samba se leva pour sortir quand un autre professeur le croisa et vint tenir un autre cours. Le jeune homme croyait rêver. Il était d’autant plus surpris que les étudiants étaient si excités à l’idée de faire cours et étalaient de larges sourires. Ils étaient passionnés, pas lui. Après deux autres heures de galères, les étudiants sortirent de l’amphi. Samba, l’air abattu était le denier à quitter les lieux. A sa sortie il croisa un jeune étudiant subsaharien. Il décida de se renseigner au pré de lui.

- Bonjour frère comment tu vas ?
- Bien frère. Et toi ? Répondit l’étudiant.
- Oh ça peut-aller. Tu as bien compris le cours ?
- Disons oui. Qu’est-ce qu’il y’a ? Tu as eu du mal à comprendre ?

La question gêna Samba . Son orgueil en avait pris un coup .
- Non … j’ai bien compris le cours … Est-ce qu’il y’a des étudiants Sénégalais en première année ?
- Oui il semble qu’il y’en ait quelques-uns comme chaque année. Tient-il y’a deux étudiants Sénégalais de deuxième année avec qui j’étais tout à l’heure dans l’amphi, ils viennent tout juste de partir. Moi je m’appelle Issoufou, je suis Tchadien.
- Enchanté. Etudiant de deuxième année ? Vous voulez dire que …
- Je suis en deuxième année oui . C’est des cours de deuxième année . Oh merde, toi aussi tu es tombé dans le coup ?

Le Tchadien éclata de rire.

- Si je vois bien tu es en première année redit-il.
- Oui, répondit Samba avec peu d’assurance.
- Ah voilà ! Les cours en première année c’est dans les autres amphis. Ne t’inquiète pas ça arrive à tous les ‘’bleus’’ 2.

Le Tchadien éclata encore de rire. Samba avait les yeux rouges, il ressassait les réactions des marocains qui fuyaient ses questions, il en avait pris un sacré coup.

- Tiens voici tes compatriotes là-bas ? Ce sont des amis à Saliou mon collègue Sénégalais.

Issoufou héla les deux Sénégalais qui sortaient de leurs amphis.

- Il y’a un de vos compatriotes qui semble perdu.

Samba n’aimait guère l’humour de Issoufou, ça l’agaçait. Il brulait une colère noire, lui l’introverti.

- Ah bon comment ça ? Répondit l’un d’eux.
- Non je veux dire qu’il a confondu les amphis et est venu faire cours dans notre amphithéâtre
rajouta Issoufou plein d’humour.
Samba n’en pouvait plus, il voulait lui foutre une raclée.
- Bon je vous laisse. Prenez soins de lui , c’est grand Marrakech. Il risque de se perdre.
Issoufou continuait de ricaner et les quitta.

- Ne fait pas attention à lui, il te taquine juste. Ce sont nos anciens, ils nous prennent pour des mômes . Je m’appelle Pierre et voici mon ami Thierno; nous sommes en première année.
- Non ce n’est pas grave. Moi je m’appelle Samba Tall , je viens de Podor.

Pierre et Thierno se regardèrent un moment avant que ce dernier n’ajoute.
- Et tu viens tout droit de Podor comme ça avec ta valise ?
Samba se tut un moment avant t’ajouter avec plein de vergogne :
- Oui directement. Enfin, de Dakar je veux dire. Je ne voulais pas rater le cours c’est pourquoi je suis venu directement.
Pierre et Jean se regardèrent à nouveau l’air surpris.
- Il me semble t’avoir vu quelque part, t’étais pas à l’aéroport de Rabat avant-hier ? Redit Thierno.
- Non ! Du tout j’étais à Dakar.

Les trois éclatèrent tout à coup un fou rire. Samba continuait à mentir malgré lui, son orgueil le dominait, il avait honte de dire qu’il n’avait pas où dormir, qu’un migrant l’avait hébergé.

- Je voudrais m’inscrire une bonne fois ? Vous vous êtes inscrit? lança Samba.
- Non pas encore. Il nous reste seulement nos photos. On les fera aujourd’hui et demain on pourra s’inscrire. Tu as tes photos toi ? Lui demanda Pierre.
- Non pas encore.
- Ok , on les fera ensemble alors .

Les trois se dirigèrent vers la sortie et arpentèrent la rue pour prendre le bus.

- Tu as un local j’espère ? Demanda Thierno à son nouvel ami.
- Oh non pas pour le moment, je voulais prendre une chambre d’hôtel le temps de trouver un appartement ?
Pierre et Thierno s’arrêtèrent un moment et regardèrent leur nouvel ami.
- Mec tu sors d’où ? Tes parents bossent à Wall Street ? Tu es à Marrakech mon gars, plus à Dakar lui dit Pierre.
- Et la vie coute chère ici . Tiens, nous cherchions un colloque, il nous reste une chambre de libre, il pourrait l’occuper. Tu en pense quoi Pierre ?
- Oui c’est une bonne idée. Voyons ce qu’en pense le "fils du Président".

Samba marqua un temps d’arrêt, haussa les épaules et dit :
- Bon, puis que vous insistez pourquoi pas ajouta Samba.
Samba vient de dévoiler une nouvelle facette de sa personnalité, il se rendit compte qu’il avait un coté mytho. Si ses amis découvraient qu’il les tournait en ridicule ils le roueraient de coups.
- Bon, marché conclu. Et voilà notre bus, courons vite lança Pierre.

Ils coururent pour rattraper le bus. Samba attrapa sa valise et fit un sprint tel un Bolt lors des JO de 2008.

Ils partirent prendre des photos dans un petit studio à Gueliz 3. Ils se taquinaient comme de vieux amis. Après ils rentrèrent à Sinko 4, non loin de la faculté de Médecine, où Pierre et Thierno avaient leur appartement.

L’appartement était meublé, propre et spacieux. Samba entra dans sa chambre, jeta son sac sur le lit et se prélassa sur le lit. Ils se souvint de son parcours périlleux. Il eut une pensée envers ses parents, sa cousine Raïssa … Le souvenir de Sébastien revint dans son esprit, il eut de la peine pour son ami, il se demandait ce qu’il pouvait bien faire à ces instants-là. Rongé par la fatigue, il bailla tel un alligator et dormit. Il pouvait souffler et profiter de cet éclairci en attendait le prochain orage.

(à suivre…)

Légende

  1. Discipline qui étudie les signes(symptômes) des maladies.
  2. Nouveaux étudiants
  3. Quartier à Marrakech
  4. Quartier à Marrakech