Georges Dioudj Ndour

Dimanche après-midi, jour de repos. Samba, accompagné de Thierno et Pierre se rendit à la mythique place Jama el fna de Marrakech pour faire un peu de tourisme et s’acheter quelques fournitures pour la rentrée. Depuis son arrivée il y’a deux semaines, c’était la seule fois qu’il sortait découvrir la ville.

Ils étaient en compagnie de Saliou, l’étudiant en deuxième année qui faisait figure d’ancien pour eux les bleus. L’immensité des lieux frappa de premier abord le jeune Peul, lui qui n’avait pas l’habitude de sortir à Podor sinon pour conduire le troupeau de vaches vers le fleuve.
- Voilà, bienvenue à Jama el fna, lança Saliou avec beaucoup de fierté.
Lorsqu’on est nouveau étudiant, on croit comme parole d’Evangile tout ce que dit "l’ancien" , Saliou en profitait pour mettre en valeur ses "bonnes connaissances des lieux".

La place Jama el fna est de loin la place de Marrakech la plus connue. Elle se trouve à la périphérie de la médina de Marrakech, près de la plus célèbre mosquée de Marrakech, la Kutubdia. Inscrite au patrimoine mondial oral et immatériel de l’UNESCO, Jama el Fna est envoutante et représente un réel théâtre de plein air à Marrakech. Ce haut-lieu traditionnel, populaire et animé notamment la nuit attire plus d’un million de visiteurs chaque année. « L’espace culturel de la place Jama el fna » est inscrit patrimoine culturel immatériel depuis 2008 (proclamation en 2001) et au patrimoine mondial depuis 1985 par l’Unesco. Au XII é siècle, la place Jama el fna était un lieu de justice où les peines étaient publiquement appliquées. Dès la seconde moitié du XVIe siècle, les activités et fonctions de la place ont évolué. Ainsi, elle est décrite par l’auteur espagnol Carvajal Marmol comme un lieu cosmopolite où règne une forte activité commerciale. Pendant des siècles, la place s’est animée et s’est inscrite dans la culture du Maroc puisqu’elle est qualifiée de lieu de spectacle au XVII é siècle. Dès le XX é siècle, de nombreux bâtiments sont construits et la place commence à prendre l’aspect de celle d’aujourd’hui. 1

Saliou faisait le fier et montrait ses talents de guide, lui qui a avait suivi le même rituel il y’a une année lorsqu’il venait d’arriver au Maroc.

Les étudiants marchèrent le long de l’allée menant au spectacle des charmeurs de serpent. Ils furent stupéfaits par leur maitrise ; ils arrivaient à attendrir les serpents avec beaucoup de malice à l’aide d’une mélodie notamment. Les jeunes hommes lancèrent des fous rires mais nulle n’osait toucher les serpents. Seuls quelques touristes qui avaient le goût de l’aventure se jetaient à l’eau, moyennant quelques billets d’Euro bien sûr. Ils continuèrent leur chemin se taquinant par-ci par-là dans une bonne ambiance. Des conteurs, au spectacle de singes, ils découvrirent le charme de cette place mythique. Ils y croisèrent beaucoup de leurs compatriotes : marchands ambulants, vendeurs de lunettes ou autres tresseuses informelles … ils échangèrent quelques mots en wolof et sympathisèrent. Ils arpentèrent une rue étroite et entrèrent dans le Souk. Samba fut ébloui par la richesse des produits, il n’hésita pas à s’acheter deux paires de babouche et un Djellaba de couleur jaune. Cela lui a couté quelques dirhams mais il ne pouvait rater cette occasion.

Au même moment près d’un rond-point près de Guéliz où il avait l’habitude de se pointer ces derniers temps, Sébastien poursuit les automobilistes. Il avait un peu maigri et perdu un peu de sa corpulence. Quelques instants plus tard un automobiliste s’immobilisa près de lui à côté du feu rouge. L’homme, du type Européen était en compagnie d’une magnifique berbère aux yeux surréels.

- Ah, revoilà notre ami, lança l’homme qui semblait bien connaitre Sébastien.
Sébastien jeta un regard sur Sofia qui avait le visage fermé.
Sofia c’est cette marocaine qui lui tournait la tête depuis quelques temps.
Fréderic prit un billet de 50 dirhams, le souleva, sourit et le tendit au jeune homme. Sébastien s’apprêtait à prendre le billet quand Fréderic retira sa main. Fréderic rit bêtement.

- Tout doux jeune homme, pas aussi facile.
Sébastien sourit de façon gênée.
- T’es qu’un salopard, lança Sofia dépitée.
- Certes, mais un salopard qui a de l’argent ajouta Frédéric. Fréderic se tourna vers Sébastien.
- Bon, tiens.
Fréderic tendit une nouvelle fois le billet à Sébastien. Celui-ci sourit bêtement et étendit sa main pour prendre le billet.
Le feu s’alluma, Fréderic démarra la voiture sans que Sébastien ne prît le billet.
Sofia roua de coups Frédéric au niveau de l’avant-bras.
- T’es qu’un salaud, espèce de salaud !
Frédéric lança un fou rire et mit l’accélérateur.

Les étudiants finirent leur court périple par un bon repas de Thiébou dieun 2 dans une gargote peu conforme près du marché. Le prix du plat qui variait entre 20 et 25 dh était très abordable pour les pauvres étudiants, loin de ceux fixés par leurs concurrents beaucoup plus huppés. Le décor des lieux, la convivialité rappelaient Dakar. On y parlait Wolof, le fait qu’il y’avait ce mélange entre marchands ambulants, travailleurs, étudiants, chômeurs … donnait un côté plus convivial au lieu.
Vers les environs de 18h, ils quittèrent la place. Samba était joyeux de sortir enfin et de découvrir une partie de la ville.
Le soir venu, Samba, dans sa chambre peinait à trouver le sommeil. Il pensait encore à Sébastien, les remords le gagnaient, il voulut l’appeler mais il faisait déjà tard

Le lendemain, après le cours il se décida d’aller le voir à Saada. Arrivé au rond-point prés de Marjane, il défila son regard espérant le voir près du feu rouge mais non il n’y était pas. Samba avait une bonne mémoire et n’avait pas oublié l’appartement où vivait Sébastien. Il toqua à la porte une fois, puis deux fois puis trois fois. Il perdit espoir, pensa qu’ils étaient sortis. Il se décida de partir quand il entendit ouvrir maladroitement la serrure de la porte. Un jeune homme qui sortait du sommeil, pointa le bout de son nez.
- Oui vous désirez ?
Samba fut intimidé, il ne l’avait pas reconnu du groupe.
- Bonjour. Est-ce que Sébastien est là ?
Le jeune marque un temps d’arrêt avant de répondre d’un ton sec :
- Il n’y a pas de Sébastien ici . Vous devez vous tromper de local
- Non il vit ici je le connais c’est mon ami …
Le jeune homme ferma brusquement la porte. Samba entendit des hommes ricaner vers le couloir de l’immeuble. Il ne comprenait pas. Il se résolut à appeler Sébastien. Après plusieurs tentatives sans suite il décida de quitter les lieux, un pincement au cœur.
Pendant plusieurs jours Samba se demandait ce qu’il pouvait bien arrivé à son ami . Il priait pour lui, espérant qu’il ne lui arrive malheur. Samba était en train de réviser seul dans sa chambre quand son téléphone sonna. Il craignit qu’on ne lui annonce une mauvaise nouvelle du pays. Il hésita à prendre l’appel mais remarqua qu’il s’agissait d’un numéro du Maroc. Il décrocha sur le coup.
- Allo Samba , c’est toi ?
Il avait reconnu la voix, elle lui était familier.
- Sébastien cria-t-il avec une joie immense.
- Mon frère comment tu vas ? Ça fait plaisir d’avoir de tes nouvelles. J’espère que tu vas bien ?
- Oui je vais bien. J’ai trouvé un bon appartement avec des compatriotes. Tout se passe bien grâce à Dieu.
- Ah Dieu fait grâce mon frère. Moi de mon côté je galère un peu, j’avais eu des soucis avec notre boss, je lui devais du fric et j’ai préféré quitter l’appartement.
- Oui je suis passé là-bas et …
- Attends je te rappelle frère j’ai un appel entrant.

Sébastien semblait avoir des soucis, il donnait l’impression de craindre pour sa vie. Samba raccrocha et n’arrêta pas de se poser des questions sur l’attitude de son ami qui était dans l’embarras.
Sébastien décrocha son téléphone.
- Oui allo !

Dans un salon éclairé, la porte était entre-ouverte. Quelques meubles étaient renversés. Sofia, assise à même le sol, regardait avec effroi ses mains ensanglantées. A côté d’elle, le corps sans vie d’un homme gisait par terre, couvert de sang.
Sébastien, habillé d’un tee-shirt en couleur et d’un pantalon jean débarqua dans le salon et vit son amie. Il se dirigea vite vers Sofia et le pris dans ses bras.
- Sofia ! Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
Sébastien se retourne et vit le corps sans vie d’un homme du type Européen.
- Cet idiot s’est pointé chez moi à moitié ivre et a tenté de coucher avec moi. J’ai refusé et Il a essayé de me violer. Enervé et pris de peur je l’ai poignardé. Fréderic était le dernier des salauds mais loin de moi toute idée de lui ôter la vie.
Sébastien se leva, l’air perturbé et fit les cent pas.
- Tu pouvais jouer le jeu, après tout c’est ton métier, tu n’es en fin de compte…
- …Qu’une pute. Dis-le !!!
Sofia se leva à son tour et se dirigea vers Sébastien - Vous êtes tous les mêmes, tous des imbéciles.
Sofia se défonça sur Sébastien et lui roua de coups sur la poitrine.
- Tu n’es qu’un idiot, comment peux-tu penser cela de moi.
- Eh oh !!! Calme-toi Sofia. Ce n’est pas ce que je voulais dire.

Sofia sanglotait sur la poitrine de Sébastien.
- Chut ! C’est fini. C’est fini. Il faut vite trouver un moyen pour se débarrasser du corps.
- Sébastien fouilla dans les poches de Fréderic et y trouva son passeport et sa carte bancaire.


- Je vais appeler Mahdi dit -elle.

Mahdi était le chauffeur de taxi qui l’amenait voir ses clients. Sofia partageait beaucoup de choses avec lui.

Sébastien était dans le pétrin, il était déjà en situation irrégulière dans ce pays, sans compter ses problèmes de dette avec The Chief, mais il ne pouvait abandonner celle qu’il commençait à aimer, la seule personne qui le considérait comme un humain. Sofia partageait son salaire de prostituée avec le jeune migrant et était très amoureuse de lui.

Assis sur les places arrière, Sébastien caressait Sofia en larmes. Mahdi au volant jetait un bref regard sur le rétroviseur en face pour les observer, il savait déjà qu’il se passait quelque chose entre les deux même s’il pensait au fond de lui que l’issue ne sera pas heureuse.

Ils arrivèrent dans un coin perdu vers la sortie de Marrakech. Sébastien et Mahdi portèrent le corps de Fréderic et l’abandonnèrent dans les buissons. Après leur besogne, les deux hommes remontèrent dans le taxi. La voiture démarra.

Sébastien et Sofia avait ourdis un plan pour quitter le pays.
Sofia, vêtue d’une robe en soie de couleur verte, était en train de mettre ses boucles d’oreille, au milieu des valises quand quelqu’un sonna à la porte.
- C’est toi Sébastien ?
Avec enthousiasme, elle partit ouvrir la porte.
Elle tomba sur la tête des mauvais jours de Mahdi.
- Mahdi ! Mais qu’est-ce que tu fais là ?
Un policier surgit de derrière Mahdi :
- Mlle Sofian Jiwoud, vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Frederic Beauchamp…
Deux autres policiers entrèrent à leur tour et menottèrent Sofia. Elle regarda Mahdi d’un air dépité.
- Ils ont repéré ma voiture et juré de s’en prendre à ma famille, je ne pouvais rien faire Sofia dit le balourd l’air pitoyable.
Les policiers embarquèrent Sofia.

Sébastien, était à l’intérieur de l’aéroport, il attendait avec impatience Sofia. Il ne cessait de regarder sa montre. Le jeune migrant avait pris le soin de modifier le passeport de Frédéric et retiré l’argent sur son compte bancaire avec l’aide d’un ami et de Sofia bien sûr. Son vol était prévu pour bientôt, il voulut appeler Sofia mais il se souvint que celle-ci lui avait dit de la laisser l’appeler.

Il regarda sa montre et prit les escaliers mécaniques. Sébastien aperçut deux policiers qui faisaient la ronde. Pris de peur, il redressa sa casquette et s’engouffra dans une des toilettes de l’aéroport. Il eut très peur au point de chier dans son pantalon. Il risquait l’emprisonnement à vie si on l’arrêtait. Après trente minutes dans les chiottes, il sortit tout en sueur. Il restait qu’une quinzaine de minutes avant son vol pour le Luxembourg. Il se décida d’appliquer le plan B, il savait que le sort de Sofia était scellé. Avec beaucoup de malices il réussit à rejoindre son avion. Sébastien venait de réussir son rêve, le voilà dans les airs pour tenter l’eldorado.

(à suivre…)

Légende

  1. Source Wikipédia
  2. Plat national du Sénégal