Georges Dioudj Ndour

Au bas de l’immeuble Samba entendit les disputes de ses compatriotes. On les entendait houspiller sans cesse le nom de Khadim. Le pauvre Baye Fall avait eu son compte. Samba se sentait responsable, il voulait y retourner, leur présenter ses excuses. Leur dire que c’était de sa faute et que Khadim n’était pas responsable, mais la fatigue le gagnait, il devait trouver une solution. Il ne connaissait personne dans cette ville.

Il était presque 14 heures, le soleil tapait fort, si fort que la rue était quasi-déserte : les cafés, lieux de fréquentation de beaucoup de Marocains étaient vides de monde.

Samba vint s’assoir sur le trottoir à côté d’un vendeur de banane. Il n’avait rien mangé de la journée et n’avait pas faim. Le stress le gagnait, il devait trouver une solution. Il était surpris d’entendre certains subsahariens parler wolof. Il les entendait discuter de tout et de rien, il voulut les interrompre, croyant qu’ils auraient pitié d’un des leurs. Mais sa timidité l’empêchait de faire le premier pas. Les passants le regardaient avec un air étonné sans lui parler ‘’s’aurait été au pays, ils m’auraient demandé pourquoi j’ai l’air triste et se seraient inquiéter de mon sort mais je ne suis plus au pays. Je suis dans un pays étranger’’ pensa-t-il. Le jeune homme commençait à avoir des vertiges. Il voulut appeler TIJ via WhatsApp peut-être que celui-ci avait d’autres amis dans la ville qui pouvait l’héberger. Il sortit son potable pour appeler mais sa batterie était vide. ’’Merde ‘’ dit-il. Samba était au fond du trou, il n’avait plus de solutions. ‘’ Et si la police me trouve ici ? Ils peuvent me refouler au pays ‘’. Il continuait à cogiter seul quand un homme, un peu costaud, de taille moyenne vint se pointer en face de lui l’écrasant du regard.

- Qu’est ce que vous faites assis sous le soleil ? Vous voulez vous bronzer ? Ironisa l’homme.

Samba releva pénible la tête vers le monsieur, les rayons du soleil tapaient maintenant sur ses yeux. L’homme du type subsaharien portait des habits sombres, un bonnet rouge lui couvrait la tête.

- Bon…bonjour. J’attends un ami, il m’a dit qu’il ne tarderait pas.
- Et vous l’attendait ici, sous le soleil ? Venez, suivez-moi ! Insista-t-il.

Samba hésita un moment. Pourquoi suivre cet homme qu’il ne connaissait pas ? D’où venait-il ? Qu’est-ce qu’il lui voulait ? Et s’il s’agissait d’un voyou ? il pouvait lui voler son argent. Mais le jeune homme ne voulait pas faire de mauvais jugements sur le seul humain qui avait pris la peine de s’arrêter et de prendre de ses nouvelles. Il prit sa valise et le suivit aveuglément.

- Je m’appelle Sébastien, je suis Camerounais. Et toi ?
- Je m’appelle Samba, je viens du Sénégal.
- Ah Dakar ! Sadio Mané 1 s’exalta Sébastien .

Sébastien conduit Samba dans un appartement situé au premier étage d’un immeuble non loin de celui où vivait Khadim et ses amis. Le jeune homme avait peur de franchir les lieux mais Sébastien le rassura :
- Je vis avec des amis sub-sahariens. Tu pourras te reposer ici le temps que ton ami t’appelle.

L’appartement était vide en ces heures. Sébastien le conduit dans une chambre où il y’avait quatre lits étalés à même le sol et plein de bagages un peu partout.
- Je vis ici avec sept autres amis. Ils sont sortis, je viens pour me reposer un peu avant de repartir.

Sébastien sortit de la chambre et laissa le jeune homme seul. Samba se demandait ce que faisait Sébastien, il voulut le lui demander. A quoi bon lui demander se dit-il, cet homme lui offre un toit pour se reposer, il doit en profiter et cesser de se poser des questions idiotes. Samba posa ses bagages avant de se prélasser sur le lit incommode. Il se souvint qu’il n’avait pas encore appelé ses parents pour leur prévenir qu’il était bien arrivé. Sébastien revint dans la chambre avec un verre d’eau.
- Tu dois avoir soif mon frère.
Samba pris la tasse et but d’un coup.
- Merci beaucoup Sébastien. C’est très gentil de ta part.
- Oh pas de quoi frère. C’est la famille.
- Je vais à la boutique, tu as besoin de quelque chose ?
- Oui je voudrais acheter un abondement pour appeler mes parents.
- Bon pour cela il faudra aller un peu plus loin vers le supermarché mais t’inquiète tu peux les appeler sur mon téléphone

Samba voulut refuser mais Sébastien insista. Le jeune homme prit le téléphone et composa le numéro de son père qu’il avait déjà mémorisé. Après quelques tentatives il eut son père. Les larmes aux yeux, Samba donna de ses nouvelles à son pater, lui disant qu’il était bien arrivé. Il voulut parler à sa mère mais son père était à Saint-Louis pour les affaires. Samba lui promit de le rappeler dés qu’il aura acheté un abonnement. Il lui dit de prévenir son oncle Seydou qu’il était bien arrivé. Il pensa un moment à sa cousine Raïssa.

Sébastien revint dans la chambre avec un sachet de couscous et deux sachets de lait caillé. Il versa la moitié du couscous dans un bol, fit bouillir de l’eau et le versa dans le bol. Il partagea la bouillie mélangée avec son hôte dans une ambiance très décontractée.
- Alors que viens-tu faire au Maroc petit ? Demanda Sébastien.
- Je viens pour suivre des études en Médecine.
- Excellent frère. C’est très bien.

Après un moment de silence Sébastien reprit avec plein d’amertume.
- Moi aussi je rêvais d’être ingénieur.
- Ah bon ? Lança Samba, sourire aux lèvres.
- Oui petit. C’était au Cameroun. Mon diplôme en poche je peinais à avoir un boulot. Je déposais mon Cv 2 dans plusieurs entreprises mais il n’y avait pas de suite. Les directeurs préféraient prendre leurs parents ou le fils d’un haut gradé de l’armée qui avaient moins de mérite que moi. Cela me peinait. J’étais l’ainé d’une famille de 12 enfants, ma famille était pauvre et comptait sur moi. Je ne pouvais pas rester les bras croisés frère. Au pays il n’y avait rien.

Sébastien se tut un moment avant de reprendre avec plein d’émotion :
- Et puis un jour, un ami m’a parlé d’un convoi qui partait pour le Maroc via le Niger et l’Algérie. Il connaissait le passeur, c’était son cousin. Nous devions faire une semaine de route jusqu’au Tchad avant de passer par le sud du Niger (Nguigmi) et le Mali. Sans réfléchir je me suis jeté à l’aventure. Le voyage fut pénible frère. J’ai perdu beaucoup d’amis en chemin. Je les ai vu mourir frère !

Après un moment de silence il reprit.
- Une fois dans le nord du Maroc il nous restait à franchir la clôture séparant le royaume à l’enclave espagnole de Ceuta. C’était la croix et la bannière frère. Nous devions partir la nuit. Tout était bien organisé mais une fois devant la clôture c’était chacun pour soi. Maintes fois j’ai échoué à franchir ce mur en fer. J’ai vu des frères franchir la clôture, d’autres se faire déchiqueter par les barbelés ou mater par la Garda Civil 3. J’étais très fier de ceux qui avaient réussis à franchir la clôture avec beaucoup de bravoure, j’étais fier d’eux malgré ma déception. Regarde les séquelles frère.

Sébastien étendit ses paumes vers le jeune homme, les cicatrices pleins dans la main et le long de son corps musclé et teigneux.
- Mais je ne perds pas espoir, un jour j’y arriverai frère. Dieu est grand.

Sébastien n’avait pas fini de parler qu’un groupe composé d’une dizaine d’hommes franchit l’appartement.
- Ce sont mes collègues. Attends je vais leur parler.

Sébastien se leva et partit vers ses amis. Ils échangeaient en Yoruba 4. L’un d’eux ne cessait de prononcer le nom du ‘’Chief ‘’. Samba eut peur de ne pas se voir chasser à nouveau. Il se résolut à tout dire à celui qui semblait si gentil et si attentionné à son égard. Il pensait ainsi quand Sébastien revint, sourire aux lèvres.
- Bon ne t’inquiète pas, mes frères sont d’accord. Tu pourras rester ici le temps que ton ami te fasse signe.

Samba était sur le point d’ouvrir la bouche quand quelques migrants franchirent le seuil de la chambre le fixant du regard. Ils continuaient à parler cette langue que ne comprenait pas le jeune homme. Sébastien leur répondait succinctement. Il revint vers le jeune homme avant de reprendre.

- Ton ami ne t’a pas encore fait signe ?

Samba fit un non de la tête avec peu d’assurance.

- Pas de souci frère. Repose-toi. Tu dois être fatigué.

Samba enleva ses chaussures et s’étala sur le lit. Il eut sommeil et s’endormit.

Dans une pièce très animée, les migrants regardaient un match de foot sur le petit écran. Certains étaient assis, les autres, faute de place, restaient debout.
Sébastien tout près du téléviseur restait figé, l’air très concentré sur le match.
Le silence prit subitement le dessus sur le vacarme.
THE CHIEF, un nouvel hôte s’introduit dans l’appartement. Âgé d’une quarantaine d’années et accompagné de deux acolytes, il avança vers Sébastien. Le quadragénaire grand de taille, s’appuyait sur une canne. Son regard grave alourdit encore plus l’ambiance.

A sa vue, les téléspectateurs s’éloignèrent petit à petit du téléviseur et sortirent du salon.

- Mais fais-lui la passe bon sang !
- Oui fais lui la passe putain de casse couille !

Sébastien se retourna vers ‘’The Thief’’.

- Il devrait le faire sortir, il joue...

Sébastien se rendit compte qu’il s’adressait au boss, il se retourna de nouveau.

- ...mal ! Comme toi d’ailleurs.

Sébastien se leva pour fuir Les bodys gardes le bloquèrent immédiatement. The Chief était connu de beaucoup de migrants. Tous migrant de Marrakech devait lui faire allégeance, il gérait ce ‘’business’’ juteux, faisait de la contrebande et logeait une bonne partie des migrants de la zone.

- Wow wow , calmos The Chief. Je vais te payer ton fric, laisse-moi juste deux jours.
Ok ?
- Ah, maintenant c’est monsieur qui fixe les règles. C’est le monde à l’envers.

The Chief se retourna et donna une gifle violente à Sébastien. Il s’approcha un peu plus près de Sébastien.
- Tu as jusqu’à demain pour me filer mon fric sinon ta grande masse sera remis à la morgue.

Les deux bodys-gardes relâchèrent les bras de Sébastien. Il s’écroula par terre.

- But !!!

Sébastien se coucha par terre, il saigna des lèvres. Il eut peur que ‘’The Chief’’ ne découvre son invité. Si cela arrivait, c’était sa mort assurée. Mais heureusement Samba dormait dans la chambre et la porte était entrebâillée. ‘’The chief’’ se dirigea vers la chambre où dormait Samba, il était sur le point d’ouvrir la porte quand Sébastien attira son attention.

- J’ai un marché pour toi ‘’The Chief’’.

The Chief se retourna vers Sébastien.

- Ah oui. C’est intéressant. Je t’écoute.
- Un ami qui vient de Douala a besoin d’un lot de faux passeports pour son groupe qui vient de franchir le Maroc. Il paye sur le coup.

The Chief se frotta les mains et vint vers le Sébastien couché à même le sol. Il s’accroupit vers le jeune homme.

- En voilà une bonne affaire mon gars. C’est de cela dont j’ai besoin. Il faut être vif et réactif.

The Chief se leva et fit signe à ses acolytes de le suivre.
- Donc à demain mon cher. Et surtout ne me fais pas attendre.

Il sortit de l’appartement. Sébastien poussa un ouf.

Sébastien vint s’assoir prés de Samba qui sortait de son sommeil. Avec un morceau de tissu il nettoyait ses lèvres ensanglantées.

- Qu’est-ce qu’il y’a Sébastien, tu t’es fait mal ? Demanda Samba.
- Oh non, je me suis juste cogné au mur. Rien de grave. Tu as bien dormi ?
- Oui grâce à Dieu. J’étais tellement fatigué.
- Oui c’est normal après un voyage pareil.

Après un moment de silence Samba prit son courage à deux mains.
- Au faite Sébastien, mon ami ne m’appellera pas. Tout à l’heure je n’attendais personne, j’étais désemparé. Celui qui devait m’accueillir n’a pas pu le faire ou du moins on ne lui a pas permis de m’accueillir. Je n’avais nulle part où aller…
- Mon frère, je sais tout. Je sais reconnaitre un frère qui a des ennuis. Je connais très bien ta situation. Ne t’en fais pas. Nous allons trouver une solution.

Samba était très gêné, il ne trouvait pas les mots.

- Je suis convoqué demain le 02 Septembre à 08h à la faculté de Médecine. Une fois là-bas je trouverai une solution.
- Dieu est grand frère. Surtout ne compte sur personne mais sur toi seul. La vie n’est pas facile dans cette ville. Tu garderas mes contacts, pour le moindre souci n’hésite pas à m’appeler.

Samba était au bord des larmes, il admirait tellement cet homme qu’il connaissait à peine.

- Pourquoi moi ? Pourquoi tu t’es arrêté quand tu m’as vu assis sur le trottoir ?
- Pourquoi ? Mais il n’y a pas de pourquoi frère c’est un devoir. Dans le désert alors qu’il faisait excessivement chaud j’avais plus d’eau. J’avais tellement soif que je pouvais boire mes urines. Fatigué, je ne sentais plus mes jambes, j’avais des vertiges, alors je me suis évanoui sur le sable fin. Mes partenaires de voyage passaient, m’ignorant, je n’en tenais pas rigueur, c’était difficile pour eux aussi. C’est alors qu’un des nôtres, un nigérien, que je ne connaissais même pas a pris le soin de s’arrêter. Il m’a donné à boire, a essuyé mon visage et pris le temps de m’assister jusqu’à ce que je revienne à moi. Ensuite il m’a dit ‘’Courage frère, ne lâche pas !’’. Puis il a continué son chemin me laissant sa bouteille d’eau. Plus tard j’ai croisé son corps inerte qui gisait sur le sable. On me dit qu’il s’était déshydraté, il s’est sacrifié pour un homme qu’il ne connaissait même pas, moi. Ce jour-là j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Il n’y’a pas de pourquoi frère. J’ai reçu gratuitement, je ne peux que donner gratuitement.

Samba avait reçu un très beau sermon de la part de ce migrant Camerounais, une belle leçon de vie. Il ouvrit son sac et partagea avec son hôte les arachides grillés qu’il avait reçu de sa mère.

- J’ai fait la connaissance d’une amie Marocaine ces temps-ci. On s’est rencontré dans un café. Elle travaille dans un hôtel. Il semble qu’elle est amoureuse du pauvre migrant que je suis. Je dois dire qu’elle me plait aussi, poursuit Sébastien plein d’humour.

Ils continuèrent à discuter de divers sujets puis Sébastien le quitta un moment, il devait aller ‘’au boulot’’.
Samba se rendormit.
Le lendemain le jeune homme se leva vers 07h pour se rendre à la faculté de médecine. Sébastien qui était partit tôt le matin lui avait laissé un petit mot. ‘’ Tu diras au taximan ‘’Faculté de médecine Khouya’’, il te conduira jusqu’à la faculté, reviens quand tu voudras frère ‘’. Il lui avait laissé ensuite ses cordonnés.
Samba ferma la porte de l’appartement alors que quelques migrants continuaient à ronfler, gagnés sans doute par la fatigue. Il roulait toujours sa petite valise, le sac au dos et pris le premier taxi. Il fit comme lui avait dit son ami. Plus loin vers le rond-point Marjane il aperçut Sébastien qui quémander quelques pièces aux automobilistes à côté d’autres migrants. Il eut beaucoup de peine pour son ami. Il voulut lui dire aurevoir mais celui-ci était un peu loin. Il s’en voulut d’avoir eu honte de celui-qui lui avait offert un lit où dormir la nuit. Le taxi prit le chemin de la faculté de médecine, une autre étape à franchir pour le jeune peulh. Des incertitudes plein la tête, Samba continuait son périple.

(à suivre…)

Légende

  1. Joueur de Football Sénégalais.
  2. Curriculum Vitae.
  3. Police des frontières (Espagne).
  4. Langue populaire parlée au Nigéria et au Cameroun..